Motel Spring

Motel Spring

N’a de printemps que le nom. Tout en cet édifice était à refaire; des fondations jusqu’au grenier. Un peu comme ta personnalité, après y être restée qu’une seule nuit. Un peu comme le coup de théâtre final (que l’on ne voyait vraiment pas venir) d’un mauvais film de suspens. Rien de vraiment effrayant. Juste. Plate. Même le vintage des murs et des meubles ne rendait pas au kitsch ses lettres de noblesse. Si elles en avaient jamais eues.

– Vous êtes complet?

– Non. Non, l’affiche a un bogue majeur. Le motel est vide en c’temps-ci de l’année.

(Parce qu’il peut être plein, à un moment dans l’année?)

C’est vrai que situé entre deux villes – lire villages – dont l’une que tu veux vraiment pas traverser à la brunante si tu n’y es jamais allé because un peu creepy et l’autre qui semble vivre sur le bord de l’autoroute, parce que les maisonnettes toutes mignonnes sont littéralement SUR le bord de l’autoroute. Donc tu ne veux pas t’endormir au volant et défoncer un salon. Il doit y avoir des quidams qui s’y arrêtent. Pour essayer de dormir, invraisemblablement. T’as juste pas le choix. La route est traîtresse. Juste. Un. Peu. Faut que tu dormes. Donc tu t’arrêtes. Ce que tu fais.

– Je vais prendre pour deux nuits. (Silence.) Pour le déjeuner, ça fonctionne comment?
– On le fait dans la cuisine pis on vous l’sert.

(Avoue que tu dois apprécier le sens de la répartie blagueuse ici. L’évidence, surtout. La porte était ouverte «grande de même». Tu y serais tombé, toi aussi.)

– Ah. (Point) Ah. (Point) Ah. (Point) C’est que je ne vois pas votre restaurant.
– Il est en face du motel, à côté du lac artificiel.

– Il est encore ouvert?

– Possible que Nicole n’ait pas fermé les volets, oui.

(Parce qu’en plus d’y dormir, tu dois t’y sustenter. Les épiceries se font rares et les chips de dépanneur, pas très soutenantes. Ou les sandwichs aux dates douteuses. Ou le contenu des dépanneurs, dans l’ensemble de son œuvre, finalement.)

– J’vais aller voir. Pour voir.

Et t’es reparti. Une démarche cowboyesque dans cet univers lynchéen. Parce que motel miteux égale référence à. Tu cherches même le nain qui va sortir comme Jack. Faut surtout pas associer à Bates. Non, ça on veut surtout pas. Avoue que c’est moins drôle.

L’univers continue jusqu’au restaurant. Surréel, nonchalant. Nicole, c’est la femme à barbe, derrière le comptoir. T’espères qu’elle y accrochera un filet, pour cuire ton steak.

– Vous servez encore?

– Rien de compliqué, oui.

(Soudainement, les chips deviennent sexys.)

– Un sandwich, c’est-tu correct? Aux œufs? Avec fromage et des frites, frites. Pas molles. Et une liqueur. N’importe laquelle, je vous laisse choisir…

– Ma friteuse est fermée mais y a des chips.

(Évidemment…)

Va t’assoir, ça va venir jusqu’à toi. T’as refusé les chips, c’est conséquent. Admirable même. L’expectative de la liqueur te maintient sur un qui-vive. Pas. Palpitant. Mais presque.

Va falloir que tu puisses manger rapidement pour aller inspecter les lieux de repos. Vraiment. Et Nicole qui prend son temps. Pendant ce temps, observation. En mode analyse.

La route, tu ne vois que la route. Les phares luminescents qui n’éclairent que la bay-window contre laquelle tu t’es assis, créant un contre-jour, t’empêchant de voir le paysage de l’autre côté. Parce qu’il est quand même grandiose. On y voit la baie, orangée par le soleil à peine couché, on y distingue les outardes (ou autres oiseaux migrateurs, tu n’en sais rien), qu’y s’y reposent avant d’entreprendre leur périple. Elles sont chanceuses. De se retrouver au soleil quand le tapis blanc et froid atteindra notre sol. 

C’est à cela que tu penses lorsque Nicole vient déposer ton assiette.

– Merci.

– De rien.

(Et la liqueur, un cream soda, ta préférée. Nicole est devineresse.)
– Désolée, c’est tout ce qu’il me reste…

(Envolée, l’utopie d’être tombé sur une voyante, une vraie.)
– C’est justement ma préférée!

Nicole sourit, tristement. Comme une esquisse du passé traverse ses lèvres. Ses yeux. Elle n’est pas belle, juste mélancolique.

– J’étais préférée, autrefois, au Bristol, sur l’autre rive… Vous y croyez, vous, au destin?

(Ça dépend. De celui qu’on laisse bêtement nous contrôler ou celui, à l’état sauvage, qu’on doit dresser à coup de volonté et de rêves.) C’est exactement cela que tu réponds.

Elle rit. Aux éclats. Rire des vestiges de son passé.

– J’étais chanteuse, l’une des meilleures du Bristol. De l’autre rive, ma réputation n’était plus à faire.
Comme toute légende, on imagine l’un des deux destins; pour celle-ci, l’un est plus évident que l’autre. 

– Les robes de strass, les bijoux. C’était ben qu’trop pour l’endroit, mais c’était l’fun. Et je suis tombée de mon piédestal, pour atterrir derrière une friteuse! Pourquoi…

– Par amour, hésites-tu…

– Neunon, pas pour l’Amour! Je m’autosuffisais sur toute! Non. À cause d’une punaise. Une punaise…

(S’étouffer en buvant du cream soda, c’est possible.) L’éructation était si évidente que Nicole tapote machinalement le dos. Habituée, supposons-le.

– À cause d’une invasion de punaises. Il y en avait tellement qu’elles ont fait fermer le Bristol. Insalubres petites bestioles. Robert(o) a été incapable de payer l’exterminateur. Il a déménagé ses cliques et ses claques à Rimouski. C’tu bête, hein?

Et s’en retourne nettoyer le comptoir en Arborite vert pomme. Comme si de rien n’était.
Tu paies donc ta (maigre) facture et te diriges vers ton domaine, lit queen, option vibration. L’impatience de te coucher te titille le nerf, nerveux.

Évitons la description de ce qui se déploie sous tes yeux. Sauf: imaginer la chambre la plus quétaine possible. Maintenant la refaire décorer par votre vielle tante qui vous fait, chaque année, les oh! si confortables pantoufles en Phentex©. Voilà. Vous devez y être. Là, exactement.

Et, décontenance totale, elle est invitante, reposante. Il n’en faut pas deux, que tu ronfles à gros bouillons.

Nuit sans anicroche, mais remplie de Nicole, de sandwichs aux œufs, de cream soda, de Bristol, de strass et de punaises. Le réveil se promet ardu.

Pour se réveiller au beau milieu d’un champ, qui longe la 138. Plus de motel. Plus de Nicole, plus de divan rococo inclus dans le forfait quétainerie.

Dire que j’ai rêvé serait trop facile. Si ce n’était que du relent de cream soda qui me remontait jusqu’à la glotte, j’aurais pu avoir. C’était pas le cas. Une vision de strass s’ouvrait devant moi. En fait, une vision d’avenir, plus définie. J’avais bel et bien rêvé. Je m’étais endormie sur l’accotement, devant les vestiges rocailleux d’un motel qui avait été démoli il y a de cela 19 ans, chose que je sus après moult recherches. Nicole avait bel et bien existé. Et qui plus est, avait un jour endisqué. À la suite d’autres recherches, sur le Bristol, entre autres. J’ai pu d’ailleurs l’écouter, lorsque j’ai rentré mes pénates au bureau, le lundi matin. Il y a des avantages à être recherchiste pour une émission de radio qui parle et écoute les oubliés de notre époque. Encore faut-il les retrouver!

Ce qui m’a le plus étonnée, dans toute cette histoire, c’est l’historique en lui-même. Tout ce que j’attribuais au Motel Spring était vrai, nain en moins. Sa quétainerie, son architecture Lego©. Surtout sa réputation d’être un havre. Même en ruine. L’âme du bâtiment, c’était le phare des voyageurs. Les gens s’y arrêtent tout autant, comme moi je l’ai fait. Comme aimantés vers ce champ qui nous dit, sans trop le laisser paraître, qu’il faut dormir, s’il est trop tard, s’il fait mauvais. Pour éviter l’inévitable.

Le surprenant, de ça, c’est l’avancement. De ma carrière. Elle stagnait. Il y a des limites à ce qu’une pôvre recherchiste peut faire. Nicole fut mon tremplin. De pouvoir l’écouter chanter et surtout, raconter live son histoire. Parce que Nicole est vivante. Parce qu’elle vit sur ses souvenirs (comme nous tous) et elle était impeccable, dans sa robe et ses bijoux de strass, qui «clashait» grave dans le minuscule studio radio.

C’est pas grave. On vit de rêve, on se réveille. Ce qui est bien, c’est qu’on choisit de l’ignorer ou tout simplement de l’admirer, devant le micro, à parler de son passé…

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