Papa


Mon père est décédé il y a de cela 20 ans…en écrivant le chiffre, je viens de me rendre compte que cela fait un bail.

J’ai jamais pu exploiter mon temps avec lui. Pour diverses raisons. Crise d’adolescence surtout. Mon père n’était que pour moi le pourvoyeur de la famille et le temps qu’il passait à la maison, il le passait en faisant des mots croisés et à boire. Une petite description pour finalement me rendre compte qu’il était plus que cela…

Né au sein d’une famille nombreuse de Shawinigan, il l’a tout de même eu facile. C’était une époque ou l’on ne se posait pas trop de questions sur la vie, sur sa vie et de la façon dont elle devait se dérouler. Il a fait momentanément l’armée de l’air (vraiment momentanément, je ne me souviens pas d’avoir trouvé des vestiges de sa carrière militaire). Il est devenu mécanicien d’avion. Pour Air Canada. J’ai donc eu le privilège d’aller voir ces gros oiseaux de près, quelques fois. Ce sont des souvenirs pêle-mêle, mais présents.
Comme j’étais la dernière, et une fille de surcroit, je crois que mon arrivée fut (accidentelle, mais souhaitée, étant donné que j’étais une fille, parmi 3 garçon, tous plus âgés que moi). Je n’en ai pas souffert, au contraire, j’étais ‘’one of the boys’’, mais avec des barbies.
Je crois que mon père était fier de moi et en tant que son unique fille, me protégeait le mieux qu’il le pouvait. Je ne saurai jamais.

Le seul souvenir marquant que j’ai de lui et de notre relation tumultueuse, ce fut l’année ou j’ai présenté un extrait de l’Opéra Nelligan, pour le spectacle de fin d’année. Mon père n’était pas encore diagnostiqué avec son cancer, mais sa santé était précaire. Lors de ma prestation, je savais que mes parents étaient dans la salle (et de mémoire, il me semble que ce fut l’unique moment ou mon père assistait à l’une de mes nombreuses pièces ou spectacles). À la fin, je les ai rejoint et mon père était là, stoïque comme à son habitude, comme le devrait être un papa qui s’assume et qui ne doit laisser rien transparaître. J’ai su plus tard, par ma mère, qu’il avait pleuré…

Et je crois que ce fut à cet instant que mon regard s’est métamorphosé. Que j’ai pris conscience qu’en tant que père, il était ce qu’il était, certes, mais aussi, rongé par un doute intrinsèque. Il faisait ce qu’il avait à faire et se permettait rarement des écarts de faiblesses. Ces larmes versées lors de mon spectacle n’ont pas confirmées sa faiblesse, mais bel et bien renforcer son humanité. Je le savais malheureux, mais pas à cause de sa vie. Je sais qu’il nous aimait. Qu’il aurait tout fait pour que nous puissions réussir notre vie, malgré les idées qu’il aurait pu s’en faire.

Il a su, sur son lit de mort, que j’étais enceinte, avant même que ma mère le sache. J’ai toujours eu l’impression qu’il savait ce que je pensais, comment j’étais, même si je lui hurlais qu’il ne connaissait rien, qu’il n’était qu’un alcoolique et (silencieusement), une personne inutile. Pourquoi ai-je penser cela de mon père? Parce que j’étais en pleine révolution dans ma tête et mes parents, ben c’était des cons. Mon père le premier.

Lorsqu’il s’est su condamné, il s’est arrangé pour que nous ne manquions de rien. Plus ma mère et moi, puisqu’à la maison, il ne restait que moi, ma mère et un de mes frères. Il s’est arrangé pour que rien ne soit laissé au hasard, pour que ma mère puisse continuer, sans avoir à s’embarrasser de questions monétaires ou autres. En fait, tout le long de leur vie, mes parents se sont arrangés pour que ce ne soit pas un autre questionnement en plus (questions administratives, j’en conviens, mais importante à leurs yeux). Ce qui a fait que la mort silencieuse est restée silencieuse. Difficile à vivre pour une adolescente qui venait de découvrir son père.

Parce que oui, depuis vingt ans, je redécouvre mon père. Cet être qui aimait Félix Leclerc plus que tout, qui aimait bidouiller les voitures, les mots croisés, la Semaine Verte (désolée papa, c’est la seule chose que j’ai jamais compris!), le bridge, les jeux de cartes, et se retrouver avec lui-même. Qui parlait allemand quand il était saoul, et qui ne s’en rappelait pas le lendemain. Un être sensible, qui ne le montrait pas, et un mélomane hors pair. Même si je ne me souviens pas de l’avoir vu mettre un disque à la maison, je crois que j’ai toujours été bercé par des chansons. Les chansonniers français surtout.

Mais sinon, tu resteras toujours une énigme pour moi, de même que maman. Dans le tumulte de la vie de tous les jours, j’aurais aimé que tu connaisses tes petites-filles. Je leur parle de toi, parfois. Difficile quand elles n’ont pas de références. Tout ce que je peux leur dire, c’est qu’au travers moi, il y a beaucoup de leur grand-père. En fait, je suis mon père…

En cette journée de la fête des pères, tout ce que je voulais te dire, c’est que tu me manques, grave. Plus que je le l’aurais jamais cru. Et que je t’aime. Vraiment.

Ou que tu sois, si tu nous vois, j’espère, que finalement, tu es fier de moi…

Ta fille
(xxx) 

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