Socrate…ou portrait d’un chat.
Quand je me mets à ‘’flipper des bananes’’, ben je pense à
Socrate. Pas le philosophe, je me vois mal imaginer ledit philosophe me
remonter le moral, considérant le fait qu’il excellait (selon les dires de
certains athéniens, à mettre en danger l’ordre social. J’aime mieux imaginer qu’il
ronronne tout doucement sur mon oreiller. Pas le philosophe, la bête poilue.
J’ai rencontré Socrate dans une animalerie. Je me souviens pus
laquelle, je crois que c’était sur la rue Masson. Et j’étais un peu loin de mes
convictions qu’un animal, t’achète pas ça. Je venais à peine d’entrer en
colocation, je me disais que j’avais besoin d’un petit copain à poil. On parle
de la bête encore, pour démêler la confusion. Bref, j’ai eu un coup de foudre
pour cette petite chose rousse pleine de poils, derrière ses barreaux (encore
là, c’était possiblement une fenêtre, mais bon, c’est un détail dont je ne me
souviens pas.). Je me rappelle que j’avais fait un
aller retour à l’animalerie parce que je n’avais pas les sous. J’avais d’ailleurs
peur qu’il ne soit plus là à mon retour. Ce qui ne fut pas le cas. Il était bel et bien là.
Lorsque je l’ai ramené à mon appartement, j’ai tout de suite
pris un rendez-vous chez le vétérinaire. Ça aussi, ce fut une belle expérience,
coûteuse. L’une des raisons pour laquelle on n’achète pas, malgré qu’adopter
peut s’avérer pire, c’est que je suis ressortie avec une facture de 150$, sans
compter la stérilisation et le dégriffage des pattes avant, qui viendrait dans
2 semaines. Mon pauvre petit compagnon avait une conjonctivite dans les yeux. Et
il n’aimait pas trop les médicaments qu’on avait prescrits. Pas évident, pour
un petit chaton, à peine sevré (une autre raison de ne pas acheter dans les
animaleries. Mais je crois que vous avez compris), que de se faire mettre des
foutues gouttes dans les yeux. Il était pas con ce chat. Dès la deuxième fois,
je devais courailler après pour le ‘’convaincre’’ de les mettre, ces gouttes.
Je ne sais plus combien de temps cela a pris pour trouver son nom, mais je sais
que j’avais la même position que lorsque j’avais trouvé le nom de mon chien, 14
ans plus tôt. Couché sur le ventre, dans mon lit, à le regarder courir devant
moi après des poussières imaginaires. Socrate me semblait évident.
Et Socrate est resté avec moi pendant 14 ans. Nous en avons
vécu, durant tout ce temps. Il a vécu les déménagements, les colocs pas trop
facile tout le temps, les nombreux autres animaux qui entraient dans nos vies
(combien de chats, chiens, hamsters, oiseaux, dégus, j’en passe surement) que
Socrate a vu défilé et que jamais, oh grand jamais, il ne rejetait. Bon, il
criait un peu, mais reprenait sa place assez rapidement sur ‘’son’’ oreiller,
qu’il semblait oublier que je lui permettais de partager. Ce qui me fascinait
avec lui, c’est que rien ne le dérangeait. Rien. D’un petit espiègle qui avait
perdu sa maman trop vite, il est devenu une sorte de ‘’pacha’’ qui squattait
une grosse partie de mon oreiller tout la nuit. Et qui têtait mon oreille. Ou
entre mon pouce et mon index. J’étais sa maman. Avant de devenir maman, je l’ai
été pendant un bon 8 ans. J’ai eu peur, d’ailleurs, lorsque je suis tombée
enceinte la première fois. J’avais peur que Socrate ne devienne jaloux et que
je doive prendre une décision inévitable et déchirante. Mais non, comme les
autres ‘’petites bêtes’’, Socrate accueillit cet enfant avec protection. Ma
fille n’est en rien une ‘’petite bête’’, mais aux yeux de Socrate, un être qui
ne bouge pratiquement pas, qui pleure et qui ne fait que dormir, peut
possiblement s’apparenter à un autre chaton. C’était peut-être sa vision. J’en
sais rien, je le regardais vivre, mon ‘’pas chat’’.
Il n’avait pas une vie hyperactive, mais il était bien. Je
crois. Quand j’étais déprimée, heureusement pas trop souvent, ce qui me remontait
le moral, c’est d’aller le faire raser, avec une coupe lion. Celle où le bout
des pattes reste poilu, une crinière et le bout de la queue. Immanquablement, j’arrivais
chez le toiletteur, elle allait le chercher à l’arrière et lorsqu’elle le
déposait, j’essayais de me retenir de rire, mais c’était chose impossible. Et
il m’en voulait! Lorsque je terminais de m’esclaffer, j’essayais de le prendre
pour le ramener à la maison, il détournait la tête, me snobait automatiquement.
Je l’avais blessé dans son égo! Il n’était jamais rancunier longtemps. Le temps
d’arriver à la maison et il se redirigeait, vers l’oreiller.
Il a été le mâle qui est resté le plus longtemps dans ma
vie. Je lui racontais tout. Il était devenu mon imaginaire-réalité, celui que
je me défendais dorénavant de vivre lorsque j’étais sur le point de m’endormir.
Il m’a consolé, écouté gueuler, fasciné (une bête qui dors littéralement 22
heures par jour, il faut le faire. Surtout l’observer). Il me suivait dans la
maison, venait systématiquement me rejoindre lorsque je me posais devant la
télévision. Je crois que s’il avait pu, il m’aurait défendu.
J’ai souvent essayé de voir en quoi ‘’l’animal fini toujours
par ressembler au maître’’. Je crois que j’ai trop souvent éludé le fait que
moi aussi, je m’adaptais à toutes les situations qu’on mettait sur mon chemin.
Que personne ne voyait vraiment si j’avais de la difficulté à m’adapter à tout,
tant et aussi longtemps que je ne réussissais pas à maîtriser la situation. Et
que j’étais facile à vivre. Complexe dans ma tête, mais facile à vivre. Socrate
m’a fait beaucoup apprendre sur moi. Malgré
tout.
Un jour d’automne, je voyais bien que Socrate ne se sentait
pas bien. Il était caché sous le lit, ne bougeait pratiquement pas, ne mangeait
plus. Depuis au moins une semaine. Lorsque je me suis couchée ce soir là, je l’ai
pris avec moi, dans mon lit. J’ai pleuré. Il semblait ‘’bien’’ sans plus.
En me réveillant, le lendemain, il n’était pas dans le lit.
Ni sous. Je me suis dirigée vers l’entrée de l’appartement, il était là,
immobile. Sans vie.
Dans mon âme, j’ai toujours cette amertume, que pour une
dernière fois, il aurait pu rester sur l’oreiller, je lui aurais fait toute la
place. Mais je crois profondément qu’il a sans doute voulu sortir, m’empêcher
de le voir mourir. Je ne lui ai pas fait la sépulture qu’il méritait et cela,
je m’en veux encore beaucoup.
Souvent, lorsque je m’endors, je lui laisse sa place, dans l’espoir
qu’éternellement, il la récupère…
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