Wonder Woman

4h30. Heure de réveil, mais pas heure de lever. Il est trop tôt.

J’ai dans la tête l’oubli. Pas le fait de, mais la chanson de Michel Rivard. Aucune idée pourquoi.
Et en cherchant de quel cinéaste cette chanson décrit si bien le suicide, je cherche. J’ai oublié. Encore à cette heure (16h26), je ne me souviens pas. Je pourrais chercher dans Google, avec des mots clés et tout le reste et pour sûr, je trouverais. Ce qui m’exaspère le plus, c’est que je sais que c’est un cinéaste respecté du cinéma québécois, l’un qui a fait l’histoire. Il a fait ‘’Mon oncle Antoine’’. Oui, c’est lui. Pas nécessaire de me le dire, je savais que vous saviez.

Ma mère, lors de ses derniers mois de vie, avait des ‘’oublis’’. En fait, un cancer du cerveau, avec métastases, ça fait connecter des neurones et filaments dans le cerveau qui à l’origine, ne devrait pas se connecter. Elle rangeait ses champignons en canne dans le tiroir de sa commode. Oubliais où elle demeurait. Il faut dire qu’avec du recul, on aurait dû jamais la déménager. Difficile de revenir en arrière.

Elle passait le plus clair de son temps à regarder la télévision ou descendait, que très rarement, participer aux activités de son bloc appartement. Un bloc appartement! On peut bien encore plus oublier. C’est un endroit impersonnel. Non, c’est les métastases. C’est le cancer. Tsé, le tentaculaire.

Parfois (souvent), elle avait des fuites. Pas juste fuites de mémoire, mais fuite physique. On la retrouvait dans son ancien quartier. Elle pensait qu’elle demeurait encore là-bas. L’oubli.

On a longtemps cru que c’était la maladie d’Alzheimer (quoiqu’extrêmement tardive), puisque les oublis, on les rattache seulement à ce fléau.  On s’imagine pas que sa mère a un cancer. Avoir eu le choix, j’aurais pris l’Alzheimer. D’un autre côté, il aurait fallu vivre avec le fait que possiblement, elle aurait pu nous oublier. L’oubli. Encore.

On ne parle pas d’oubli de ses clés à la maison et qu’on peut aller les rechercher. On parle d’une vie. D’une mort. D’une femme exceptionnelle. Parce que c’était ma mère. Nous sommes à la 10e année sans elle. Ce n’est pas un anniversaire. On ne fête pas la mort. Encore moins la souligner. On fête une vie, on souligne une action. Ce n’est pas tant sa vie que je voudrais fêter. C’est comme pour mon père, avoir le sentiment égoïste qu’elle soit partie sans que je puisse lui demander pardon.

D’un autre côté, c’aurait servi à quoi? À rien. Vraiment. Surement, aussi, qu’en tant que mère, elle avait oublié. Possiblement pardonné aussi.

C’est difficilement explicable tout de même tout ce qui se passe au mois de janvier, autour du 29 janvier, depuis 10 ans. Je suis plus ouverte, spirituellement parlant, les chakras sont tous désalignés, je le sais que cette date approche et je me mets intentionnellement vulnérable. C-H-A-Q-U-E année.

C’est parce que je veux pas oublier. Parce que je fais la même chose que ma mère faisait, à tous les jours. Elle n’oubliait rien. Tout était dans sa tête, nos horaires, nos activités, nos amis, tout tout tout. Quand, par malheur on déviait de ce qu’elle avait en tête comme agenda, on la déstabilisait un petit peu. Juste un peu. Elle était réglée. Et tout était impeccable. C’est nous qui mettions du chaos dans son équilibre. Et je crois qu’elle aimait cela. Sinon, pourquoi avoir eu des enfants? Tu dois aimer le chaos quand tu as des enfants. Surtout 3 gars et une fille. Sérieux.

Cette année, par contre, je veux oublier.

Aujourd’hui, it’s the day that I stop caring.

Le  29 janvier 2014. Je ne me suis pas levée avec cette envie-là. Ça fait possiblement des mois que je la mûrie. Inconsciemment. Dans ma tête et dans mon cœur. En fait, ce n’est pas au sens propre. I do care. A lot. Too much. C’est juste que là, c’est devenu épuisant. Mentalement. Parce que mon cœur, il est difficile de lui empêcher de se préoccuper des autres. En fait, mon cœur passe son temps à saigner.
Il aime ça, lui. Saigner. Y’a un gros avantage, on le voit pas. Il est discret. Fa que même quand j’ai l’air de m’en câlicer ben raide d’une situation, dis-toi que c’est une façade. Parce qu’en plus d’alimenter mon cerveau avec tout plein de scénarios bidons et paranoïaques, ben mon cœur, il saigne. Y’arrête jamais. Ce qui fait que je suis exactement comme ma mère.

-        -  Tu t’en poses, des questions, parfois?
-         - Non.
-          -Vraiment?
-          -Quels genres de questions?
-          -Ben, je sais pas moi, sur ta façon d’éduquer tes enfants, sur la vie, sur la mort, sur la maladie, sur les    problèmes dans le monde? Sur papa?
-          -Ben non…

Et tu remettais ton nez dans ton roman Harlequin. Ou tu te remettais à écouter ce que tu écoutais à la télévision. Lorsque je t’ai posé cette question, Océanne devait avoir 3 ans. Et possiblement la maladie avait commencé à s’infiltrer insidieusement.

Je me suis dit ce matin que j’essaierai d’avoir les mêmes réponses, si mes filles venaient à me la poser cette question, si justement, je m’en pose des questions. Essayer de ne plus m’en faire avec des pacotilles, des broutilles, des inutilités. Dans un monde de chaos, à quoi bon chercher la perfection?

Ben en fait, en regardant le ‘’big picture’’, je me dis que j’arriverais jamais possiblement à ta cheville au niveau du bonheur, surtout si je continue dans la même lignée. Longtemps, je te l’ai dit, tu dois t’en rappeler, que jamais j’aurais voulu être comme toi. Ben voilà, je regrette. Regrette de ne pas avoir réussi à me satisfaire d’un roman Harlequin. C’est stupide, un roman Harlequin. En tout cas, moi je trouve cela stupide. Sauf que tu pouvais te permettre, à chaque jour, (du moins ce que je me remémore), de t’étendre sur ton lit et d’en lire une petite partie, de ce roman. Et tout dans la maison était impeccable (d’où ton chialage qu’on se ramassait pas…). Évidemment, tu aurais ‘’travaillé’’ et c’aurait été différent.

Ben comme ma vie, en fait.

Quand je prends une journée pour me dire que je ‘’fais rien’’, c’est une journée ou j’essaie de vider mon cerveau de tout, absolument tout. Je pourrais utiliser ce genre de journée pour faire des trucs que j’aime vraiment; écrire, bricoler, marcher, lire…non, je fais rien. Rien parce que je cours toujours, j’analyse tout, j’organise tout et au travers cela, je cherche la perfection. Donc quand je m’arrête, c’est le moment que je prends pour ‘’respirer’’ normalement, jusqu’à ce que je retourne dans le maelstrom. Parce que crois-moi, je suis constamment dans un tourbillon.

Toi, tu t’étendais, tout simplement. Et tu lisais. Et tu te posais pas de questions.

Seulement, dans mon fort intérieur, je sais que c’est faux. Nous sommes nos maux. Tu as commencé avec tes crises cardiaques. Parce que tu aimais trop. Tout le monde, tout le temps. Quand papa est décédé, ton cœur à commencer à saigner à gros flots. Rien n’a pus vraiment colmater cette fissure gargantuesque. Mais tu as vécu. Tu as voyagé, dansé. Et encore lu.

Par la suite, nous avons constaté (et toi aussi), que tu perdais la mémoire et tu faisais des trucs un peu ‘’pas rapport’’. Mettre tes champignons dans ta commode? WTF? C’est le cancer, cité plus haut, qui était arrivé.
Cette année, je ne veux pas oublier. Je me suis même surprise à en oublier ton rire. Dégueulasse. En même temps, non. C’est normal.

Mais je ne veux pas oublier tout ce que tu as été, ce que tu étais et surtout, ce que tu es devenue.
Je sais pertinemment que la façon dont je suis me dirige tout droit vers pratiquement le même destin que toi. Parce que tout ce que tu étais avant, j’ai pus aucun problème à vouloir te ressembler, mais c’est catégorique, je ne veux pas d’un cancer du cerveau ou d’un cœur qui saigne encore. Parce que je t’ai vu souffrir, même si tu disais que non, et que sérieux, je crois que c’est l’image qui me revient le plus : ta résignation, ta façon de concilier, même face à la maladie ou la mort, je suis pas sure…

Je n’ai qu’à me souvenir les derniers mots que je t’ai dits, lorsque tu étais encore vivante. Je ne sais même pas si ton cerveau les as assimilés. J’aurais préféré savoir à 100% que tu n’étais plus là, mentalement. Tsé, comme l’Alzheimer. Même là.

Finalement, avec mes 3 pages word toutes décousues, ce que j’essaie de te dire, désespérément, c’est que tu me manques. Depuis 10 ans. Mais qu’aujourd’hui, je vais le considérer comme étant un nouveau début, une façon à moi de faire le bilan, annuellement. De voir si effectivement, j’ai laissé tomber les pacotilles, les brouti…ah, tu sais! Tout ce qui fait que j’angoisse et qui me rend malheureuse.
Je vais peut-être m’essayer à un Harlequin.

Not, tu peux toujours rêver. :)

Je t’aime maman. 

Commentaires

Anonyme a dit…
Beau.

Messages les plus consultés